L’austérité est le problème, pas la solution....
Bonnets et écharpes rouges se rassemblent dans le hall, tandis que les verts montent dans des bus. Le temps de boire un café chaud dans du carton, je retrouve l’équipe : Pierre-Yves, participant aux ateliers, voisin, en grève avec son collègue de la cellule de reconversion du Forem. L’équipe du Croqu’, les amis, anciens, nouveaux...
Embarquement. Train bondé, ambiance bon enfant. On se tasse entre deux compartiments. On commence à distribuer nos tracts, avec des recettes pour cuisiner des enfants au verso...
10h20. On descend gare centrale, laissant derrière nous les manifestants qui eux démarrent gare du nord. Cependant, dans la gare centrale, des pétards commencent à claquer.
Arrivée place de la Monnaie, file de camionnettes de police garées. Tout est prêt.
On avait prévu de s’installer rue Fossé aux loups, au bout de la rue Neuve, où le cortège passe. Des stands de la CSC, du PSL (Parti Socialiste de Lutte) sont déjà installés.
Il reste quand même une petite place pour nous, à côté d’une banderole “Demain s’il le faut, grève générale !”.
On est rejoints par l’équipe du Théâtre des Rues, et celle du Grand Asile. En tout, on est seize personnes. Pour une première, c’est plutôt pas mal !
Préparation. J’enfile deux-trois écharpes qui feront mon ventre de femme enceinte, un manteau bien chaud, et je grimpe sur la borne électrique. Pendant ce temps,en bas, on installe le plateau avec le bébé cuit, quelques abats, des oreilles et pieds de porc, le tout décoré de persil et de tomates. Pascal se met dans un coin et commence à couper le boudin que les bouchers offriront en dégustation. Test de gueulophone.
Déploiement de nos pancartes :
” Nous sommes désespérés, mais nous n’avons pas le choix. Nous avons de la viande à bon prix que vous ne trouverez nulle part. venez la goûter.” Brandie par Pierre-Yves, qui joue le père.
“La vie est trop chère. Nous ne pouvons plus nourrir qu’un enfant sur deux. Ne laissez pas mourir le deuxième.” Complétée par ces mots que je montre à la foule en caressant mon ventre : “aidez nous, achetez notre viande.”
On est en place, et les voitures de police qui escortent le cortège passent devant nous. C’est parti. Petit vertige quand je me lève sur cette borne électrique, à environ 1, 50 m de hauteur.
Vertige amplifié quand je vois la marée humaine qui s’avance lentement vers nous. Waou, j’ai la bonne place. Une fois que les manifestants arrivent à notre hauteur, ça y est, on branche le gueulophone, “une solution à la crise : manger les enfants des pauvres !
Les bouchers tendent les plateaux de boudin à déguster.
Les groupes rouges, verts, bleus, se succèdent, dans une atmosphère assez joyeuse. Etant la seule en hauteur, je suis remarquée de loin. C’est marrant de voir les visages intrigués, puis amusés, ou dégoûtés, quand ils passent devant le bébé cuit.
Une heure passe, je ne sens plus ma jambe ni mon pied droits, transis de froid. Bourrasques gelées, parfois un rayon de soleil furtif. Le froid me gagne de plus en plus, je ne sais pas si je vais tenir longtemps. Voyant la foule affluer sans cesse en haut de la rue, je voudrais que ça stoppe. Et puis non ! Je ne veux pas que ça stoppe ! Des milliers de personnes dans la rue, qui protestent ! Encore plus ! J’oublie mon état physique et me laisse emporter par la foule. Emporter par mon rôle aussi, même s’il est plutôt figuratif. Comme nous l’avons écrit dans le tract distribué, nos corps sont devenus des marchandises, nous sommes prêts à n’importe quoi (vendre un organe., etc...) pour subsister, pour trouver un emploi.
L’image que nous proposons, avec ce bébé farci, cette mère qui vend ses enfants, est certes violente, mais beaucoup moins que la violence de ce système. Et l’apathie provoquée entre autres par nos médias, qui relayent, dans un coin, les pires nouvelles : comme cet homme, Djamal Chaab, 41 ans, chômeur en fin de droits. Il est mort de ses blessures, après s’être immolé devant l’agence Pôle Emploi de Nantes le 11 février dernier. En cherchant un peu, j’ai trouvé d’autres cas semblables... Et la froideur des forteresses administratives qui qualifient cela d’actes isolés, dûs à des problèmes personnels. Alors que la stigmatisation des plus précaires, et la mise au ban des travailleurs ne fait que s’amplifier.
Perchée sur cette borne, je croise ces regards, et j’aimerais que ce patchwork de couleurs syndicales se mélange, se mixe, s’agrandisse avec tout le monde. On est tous concernés.
Après deux heures de défilé, j’aperçois au loin la fin du cortège, suivi des balayeuses, nettoyeuses, effaçant de suite les traces de la manifestation.
On remballe, et on va se réchauffer dans un bistrot à quelques pas. A l’étage, quelques motivés continuent de siffler, chanter. Restes qui s’amenuisent peu à peu. Il est l’heure pour nous de reprendre le train pour Tournai.
Fatigue intense.
Retour dans nos pénates, et hasta la proxima, les 13 et 14 mars prochains, un mouvement européen s’organise, et nous serons là !!
En savoir plus sur l’austérité