2005 - 2019
Bonne lecture, l’ACD de Lille (une quarantaine de personnes)
Hier soir [samedi 8 juin 2019] nous sommes allés à la Bourse du travail, nous avons rencontré plusieurs associations, j’ai discuté avec eux, j’ai discuté avec la section anti-négrophobie. Il n’existait pas de mot pour définir le racisme anti-noir et c’est eux-mêmes qui ont défini ce mot-là depuis 2005. J’ai discuté avec le Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP) qui est une association nationale.
Je me suis présenté comme gilet jaune, pas représentant des gilets jaunes, je me suis gardé de ça, je suis représentant de moi-même, et surtout je leur ai demandé de me parler de leur action, de ce qu’ils vivent et de ce qu’ils font. L’idée franchement avouée c’est dire comment on pourrait faire une convergence des luttes. Mais en fait quand on discute avec eux, on réalise qu’il y a un monde entre nos luttes et les leurs.
Déjà au niveau organisation, parce que nous on est des bleus. Eux sont super organisés, au niveau de l’entraide, au niveau des structures et tout ça, tu sens qu’ils ont du vécu. On réalise que, nous, on se bat pour des lois plus égalitaires, pour une meilleure répartition des richesses, eux se battent juste pour vivre ! J’ai vu un mur sur lequel il y avait une vingtaine de photos, c’était que des jeunes qui se sont pris des balles par la police et aucun policier n’a été condamné ! Enfin sur la vingtaine de photos il y en avait quelques-uns plus âgés mais sinon c’étaient des jeunes, et il n’y en a aucun pour lequel on a retrouvé des preuves de soi-disant armement comme le disait la police ! Le dernier que j’ai vu là, novembre 2018, trois balles dans le dos par un policier, le policier a été acquitté !
Voilà, alors quand on voit ça, on se dit : nous on est loin ! Très loin. Eux se battent pour avoir des appartements, pour avoir le même salaire à travail égal et tout ça, donc on s’est sentis tout petits ! Et je pense que si on veut avoir une convergence des luttes avec eux, c’est à nous à faire le pas vers eux !
Parce qu’en discutant avec eux, on réalise que les flics nous tapent dessus, ils nous gazent – enfin un peu moins hier, d’après ce que j’ai vu hier, il n’étaient plus avec les petites grenades, ils étaient carrément avec des pistolets et les gaz les plus forts ; Et en fait, les flics se sont entraînés sur eux depuis dix ans, quinze ans ! Tout ce qu’ils nous font subir sur les manifs, ils l’ont fait dans les quartiers depuis dix-quinze ans ! Et toutes leurs techniques de nassage et tout ça, ils les ont mises au point chez eux.
Ils nous ont accueillis super chaleureusement, ils nous ont invités à manger et tout c’était super ! On a chanté avec eux, vraiment c’était une super ambiance ! Ils sont très unis, ça donne l’impression qu’ils sont très communauté mais en fait quand on regarde et qu’on analyse un peu, on réalise que c’était une obligation parce qu’ils étaient seuls !
On s’est tous fait enfumer après 2005, à dire « c’est de la racaille, c’est des dealers », moi le premier ! « Ah les salopards ils m’ont brûlé ma bagnole, c’est que de la racaille ». Quand j’en ai parlé ils m’ont dit « ben voilà t’as ouvert les yeux maintenant ». Ouais, je réalise en fait que nous ce qu’on vit avec les médias actuellement, la façon dont ils nous décrivent, Gilets Jaunes, le fait de dire « la mobilisation est de plus en plus basse chaque semaine », bon, ça fait quand même 8 mois qu’on est là, « la foule haineuse », « remplie de casseurs », ben en fait déjà à l’époque on a eu la même chose. On s’est fait enfumer de la même manière pendant 2000-2005, là où ça chauffait dans les quartiers populaires, on s’est fait enfumer de la même manière et on l’a tous cru ! Et je discutais avec S. et avec son mari, elle a eu la même, disons, révélation que nous, elle a réalisé aussi, ça fait deux-trois ans.
On réalise que quand ils ont eu besoin d’aide, y’avait personne, on n’était pas là, on était même contre eux ! Je vous fais quand même un reproche, c’est qu’on était que deux hier soir à venir ; après ça, je me fais votre avocat, moi aussi j’étais vanné hier soir, après être parti de là-bas, je me suis effondré !
Par rapport à ce qu’ils mettent en place, déjà le Front Uni est national, par exemple des entraides, on a ramené une dame qui était sur notre route, et qui a dit « Je suis veuve. Là je devrais toucher la retraite de mon mari. Je suis veuve depuis vingt ans, ça fait six fois que je refais le dossier ! » Mais elle est d’origine marocaine, elle est venue en France il y a quarante-neuf ans, et ils font traîner ! Clairement, ils font traîner ! Et le Front lui a dit « Appelle-les tous les lundis, tous les lundis tu les appelles et tu les fais chier ! » Je lui ai dit « Ben ouais ils ont raison ! » Et si elle a besoin d’aide pour faire le dossier, il [le Front Uni] l’aide ! Il aide, il aide, c’est vrai ils sont très communauté mais je dirais c’est juste un réflexe de survie ! C’est de la solidarité en interne parce que de toute façon ils en ont eu aucune de l’extérieur donc forcément ils se sont repliés sur eux-mêmes, c’est juste de la survie !
Après ça, moi je pense que si on veut une convergence des luttes, c’est à nous d’aller vers eux ! Il faut absolument qu’on fasse tous la démarche, chacun dans nos quartiers, dans nos villes, d’aller vers des associations comme ça, de se présenter en tant que gilets jaunes et de dire qu’est-ce qu’on peut faire par rapport à nos luttes, de se présenter en tant que gilets jaunes ! On est gilets jaunes, on veut une convergence des luttes et c’est à nous de faire le premier pas, on vient le faire. Et ça prendra un petit peu de temps c’est évident, mais ça peut marcher, vu la façon dont nous avons été accueillis hier, wouah y’a pas de souci !
La brigade anti-négrophobie, le gars m’a tout expliqué, on réalise que ça vient de très très loin, il m’a dit :
« - Comment tu veux qu’on ait envie de sortir pour les gilets jaunes alors que mes grands-parents qui étaient tirailleurs sénégalais ils touchaient pas leur solde, ils étaient envoyés en première ligne, ils étaient traités comme des chiens et encore actuellement c’est encore dans les esprits ? Moi, je travaille pour décoloniser les esprits ».
La colonisation elle n’existe plus dans le pays mais elle existe et elle est encore là, c’est encore le black ! Eh dis c’est un long travail, c’est un long travail pour qu’on arrête de faire vivre les gens comme ça.
« - Voilà un exemple concret, notre mouvement il est né en 2005 suite à un problème avec des logements allumettes
« - C’est quoi un logement allumette ?
« - Ce qu’on appelle nous des logements allumettes, c’est des logements qui prennent feu comme des allumettes ! Et c’est arrivé à Paris, il y a eu cinquante-deux morts ! »
Et comme par hasard, c’étaient des gens qui étaient dans des logements temporaires, en attente de HLM et suite aux cinquante-deux morts, ils ont tous eu leurs apparts dans le mois qui a suivi ! Si c’est pas du foutage de gueule.
« - Il y avait largement les moyens de leur donner ces apparts mais j’ai des copains qui les ont eus mais qui ont perdu des membres de leurs familles ! »
Donc, c’est vraiment se foutre de la gueule du monde ! Donc nous on découvre ça. On découvre que le gouvernement se fout de notre gueule, mais ça fait vingt ans que tous les gouvernements se foutent de la gueule des gens qui sont issus de l’immigration et puis c’est des Français, ça fait trois ou quatre générations, il faut arrêter de dire « des gens issus de l’immigration » !
La conclusion, c’est que nous Gilets jaunes on aille vers eux !
Alain
pour aller plus loin sur la répression policière en France
Désarmons-les est un collectif contre les violences d’état qui liste de nombreuses ressources, et réalise une recension des actes de violences policières, des armes utilisées, des recommandations, ...
Gilets jaunes : une répression d’Etat un documentaire de Street Press de 56 minutes, mis en ligne le 21 mai 2019.
Le journaliste de StreetPress Mathieu Molard, qui a co-réalisé ce documentaire, (avec Cléo Bertet et Matthieu Bidan) était invité sur le plateau d’arrêt sur image le 29 mai 2019 au côté de Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre d’études sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDI), dont les travaux portent sur le travail des forces de l’ordre françaises.
Selon Mathieu Zagrodzki "il n’y a pas véritablement de culture professionnelle en France axée sur la gestion des conflits et le désamorçage de conflits. On est plutôt dans une culture très verticale où la personne qui résiste [est vue comme quelqu’un qui] résiste à la République et à l’Etat". A la différence, par exemple, de l’Angleterre ou des pays scandinaves, où "le policier explique qu’il est là pour servir la communauté" et non la République.
Cherchant à expliquer d’où viennent les techniques policières telles qu’on les a vues à l’œuvre depuis décembre, le documentaire de "StreetPress" revient également sur la trajectoire d’un personnage mal connu en France, mais tristement célèbre en Algérie ou dans les Antilles : le préfet Pierre Bolotte qui, avant de superviser la création de BAC en Seine-Saint-Denis, avait dirigé la répression des émeutes de 1967 en Guadeloupe.
"Cette généalogie historique est incontestable" abonde Zagrodzki. Mais là encore, la répression dans les colonies et l’outre-mer n’est que l’illustration la plus extrême d’une doctrine qui était également appliquée sur le territoire métropolitain, rappelle le chercheur. Déjà sous Louis XIV, "on crée la lieutenance générale de police (l’ancêtre de la préfecture) car la rue est considérée comme dangereuse, le peuple est considéré comme dangereux (...) Ce qui est déployé dans les territoires colonisés n’est qu’un embranchement d’une histoire plus générale de la police en France."
Il n’empêche : au sein de ce système, "les colonies ont été des populations jugées plus ingouvernables que d’autres", sur qui la répression policière a donc été plus sévère qu’ailleurs, poursuit Molard.