Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation

Son approche de la psychiatrie hérite de Frantz Fanon et François Tosquelles. Ce dernier, évoquant Fanon, regrettait que “ la psychothérapie institutionnelle [ait] été comprise uniquement comme étant réduite à l’intra-muros des hôpitaux psychiatriques classiques.” Pour ces praticiens, le contexte socio-politique est un acteur à part entière de l’état psychique des patients. Comme Fanon soignait les Algériens et participait à la lutte de libération, Samah Jabr soigne les Palestiniens, elle témoigne, documente et analyse : “ La vie sous l’oppression et la soumission à l’injustice sont incompatibles avec la santé psychologique. La résistance n’est pas seulement un droit et un devoir mais aussi un remède pour les oppressés . Indépendamment de toute option stratégique ou pragmatique, notre résistance demeure l’expression et l’affirmation de notre dignité humaine.

Dans une de ses chroniques, Jabr relate les humiliations vécues par ses patients, et interroge : Comment un parent humilié peut-il promettre un avenir à son enfant si son propre esprit a été brisé ?

« Les actes constants d’humiliation ne sont pas simplement des effets secondaires, collatéraux, de l’occupation : ils en forment la base politique. L’une des caractéristiques essentielles de l’occupation est de cibler et de saper chaque facette de l’identité palestinienne, et tout particulièrement les éléments qui sont sources de fierté pour le développement intellectuel et moral émergeant d’une nation palestinienne. L’humiliation agit pour écraser les sources d’autonomie et d’indépendance. Elle vise à réduire les Palestiniens à un état de silence passif. Dans le même temps, cette humiliation soulage les angoisses et les appréhensions des forces israéliennes »

« (...) nous vivons dans un état policier occupant qui ne nous permettra de survivre, le cas échéant, que si nous abandonnons nos convictions et nos opinions, pour nous concentrer sur nos besoins les plus primitifs. Dans le cas où nous ne nous conformerions pas aux lois de l’occupant, il vaut mieux nous habituer aux nuits agitées de sommeil interrompu. »

« Le mot arabe pour martyr est chahid. Il n’est pas nécessaire d’être tué pour être chahid : le mot signifie littéralement “celui qui témoigne avec honnêteté et courage, et en paie le prix”. Je crois que c’est la peur de mourir, comme prix à payer pour le témoignage, qui explique le sens populaire du mot martyr. »