« Ecris- nous un texte », m’avait dit au téléphone un camarade du groupe théatre.
Ecris- nous un texte, écris- nous un texte …
La phrase a fait son chemin. Pourquoi pas ? Un texte pour qui ? Pour quoi ? Sur quoi ? Je ne sais pas. Un texte. J’ai pris un stylo, une feuille récupérée…Et j’ai écrit…
Ca fait déjà plusieurs semaines, voire mois qu’on improvise tous les 15 jours au Préau à Bernissart sur…
Sur quoi, en fait ?
Alors je suis allé voir sur…
Non, pas sur Internet ou FB. Parce que du coup je me rends compte à quel point ces trucs m’ont transformée en consommatrice addictive de textes, d’idées, de vidéos, d’images, de commentaires, de polémiques… et que ça empiète drôlement sur mon temps de productrice, que je retrouve ici. Plume entre les doigts, les corps des lettres avec des ronds, des traits, des pleins, des vides, des croches, des points, des virgules, des ratures… sortent de ma main après avoir parcouru le chemin de mon cœur à mon cerveau.
Bref.
Pas sur FB donc… mais dans le cahier de notes manuscrites de nos rencontres théatrales.
La nouvelle aventure, après ‘La vie est une maladie mortelle’ commence le 14 février 2019. On parle d’enfants pauvres dont la mallette à l’école est vide, de gaspillage de nourriture, de remplacer les politiciens par des citoyens, de la sauvegarde de la planète, du monstre qui décide à notre place, d’une école à laquelle on a mis le feu, des colis alimentaires pour les pauvres, des politiciens qui sont les marionnettes du fric, de Colruyt ou Lidl qui contrôlent si les gens n’achètent pas de cigarettes ou d’alcool avec les bons alimentaires du CPAS, d’une dame dérangée à l’entrée de sa banque par la présence d’un SDF et des témoins de la scène qui ne disent rien, des gilets jaunes, de ceux qui se nourrissent dans les poubelles, des centres commerciaux qui se climatisent contre les vagues de chaleur, des agriculteurs qui se suicident, du remplacement du vivant par des robots, des femmes qui se font massacrer parce qu’elles sont femmes, des femmes qui auront une pension de 700 euros parce qu’elles auront élevé leurs enfants, de Viva for Life - quand les pauvres donnent aux pauvres, des jeunes qui ont manifesté et qu’on n’a pas entendus, des femmes en couple qui se font violenter, des jeunes qui n’osent plus faire d’ enfants, de la bête immonde qui se nourrit de nos pourritures…
Et j’en passe…
Alors quoi ? Qu’est-ce qu’on fait ?
Se défendre ! Résister ! Trouver une autre fin de l’humanité que celle qui se prépare…
Il y a tout ce qu’on fait déjà : cultiver son potager, réduire ses déchets, remplacer l’alu par des boîtes, supprimer le plastique, acheter local à la ferme bio, manger moins de viande, planter des arbres, voyager peu en avion, se promener dans la forêt à côté plutôt qu’au bout du monde…
Ouais… mais tout ça ne représente que 10% de ce qu’il faudrait faire pour réduire les émissions de CO2 et pour rester en-deçà d’une hausse de température de 2 degrés…
On a fait du théatre aussi. Des impros pour essayer d’imaginer un monde plus vivable.
Comme le jour où on a joué l’accueil d’un SDF dans un village : on lui a indiqué des douches publiques, une épicerie bio où il pouvait prendre un repas gratuit et laver ses vêtements…
Ou quand l’un d’entre nous rencontre une fille qui fait les poubelles et qu’il lui propose de venir manger chez lui.
Ou que dans le temps, on avait peu de choses mais qu’on se rendait visite, qu’on s’asseyait devant sa maison pour regarder ce qui se passait dans sa rue et qu’on s’échangeait des trucs et que la vie était paisible. Et que tout ne tournait pas autour de l’argent.
Et que l’eau et l’air seraient purs et gratuits. Et que les fruits et légumes seraient à donner et pas à voler.
Mais il faut reconnaître qu’imaginer un avenir paisible et bienfaisant c’est une autre histoire que de dénoncer les horreurs du présent. Nos esprits sont prisonniers d’un monde sans logique qui impose sa barbarie. Nos imaginaires ont les pieds pris dans le béton du passé.
Et ce passé pour moi, celui dont je me souviens et qui m’a façonnée, il commence avec mes grands-parents. Après la guerre ils ont dû reconstruire tout ce qui avait été détruit pour survivre. Les Américains ont fait adopter le plan Marchal : financer la relance de l’économie Européenne pour que nos régions deviennent un vaste marché pour les produits US.
Alors mes grands-parents et mes parents ont sorti leurs mains de leur poche … et je suis née. Dans un monde certes fragile mais avec un horizon prometteur : on allait produire des objets qui nous rendraient la vie plus facile : tracteurs, surgélateur, supermarchés, avions, machine à lessiver, frigo, viande pour tous…
Petit à petit les besoins de la plupart ont été satisfaits. Enfin ceux des riches et des classes moyennes. Il restait bien sûr des pauvres. Il faut toujours qu’ils fassent autrement… La machine tournait, plein emploi.
On aurait pu ralentir. Travailler moins. Consommer moins.
Ce scénario ne convenait pas aux capitalistes. Il faut continuer à distribuer des dividendes. Alors ils ont lancé le matraquage publicitaire : persuader les gens d’acheter des trucs dont ils n’ont pas vraiment besoin mais pour lesquels ils vont continuer à travailler et grâce auxquels on va pouvoir continuer à produire, à faire de l’argent. Des objets qui par ailleurs épuisent les ressources de la planète et augmentent la quantité de déchets à gérer.
Je crois que c’est un complot : faire consommer pour faire produire. Sinon c’est le crash !
Alors on nous impose Halloween, Black Friday, St-Nicolas, Noël, Nouvel An, les soldes, Pâques… Le shopping du samedi dans les centres commerciaux… Le salon de l’auto, du chien, des vacances, de l’érotisme…Il parait qu’acheter produit un sentiment de plaisir immédiat… mais éphémère.
270.000 colis sont livrés chaque jour rien que
par Bpost. 450.000 pendant les fêtes de fin d’année. 50% du PIB belge est représenté par les 230 milliards de la consommation privée.
Tu te rappelles ton dernier achat compulsif ? C’était quoi et tu en as fait quoi ?
Je continue ? Ou on arrête ?
D’acheter !
On pourrait partager ce qu’on a déjà, faire du troc, acheter en seconde main et produire ensemble ce dont on a vraiment besoin.
Du coup on pourrait travailler moins : 3 heures par jour, 15 heures semaine avec un salaire décent suffiraient à combler nos besoins.
On retrouverait ce qui ne s’achète pas.
Du temps. Pour être ensemble, s’amuser, monter des spectacles, se câliner, faire des boutures, dessiner, lire, s’occuper des enfants et des vieux, tricoter des chaussettes, marcher dans la forêt, jouer au rugby…
Et si on essayait là, maintenant …
(On enlève nos vêtements et en-dessous il y a des vêtements colorés, des collants, des foulards, des chemises bariolées, des chapeaux à plume… pour se lancer dans une sarabande avec le public.)
Luc, Anne, Véronique, Alain, Perrine, Christelle, Nathalie et Linda(devant)
photos Albert Debaisieux