Premières idées.

Ces rencontres mondiales peuvent être des grands-messes : réunissant des milliers de participants venant du monde entier, on peut s’y perdre. Ils peuvent être aussi des moments uniques de rencontres autrement improbables.
Jusqu’au FSM en Tunisie, la dimension culturelle n’y avait été qu’accessoire, cerise sur le gâteau, moment éphémère d’une humanité unie dans ses combats, le temps que résonnent les derniers chants. La Commission Culture (CC) pour la première fois constituée dans un FSM, le groupe de jeunes tunisiens qui s’en étaient donné l’enjeu la voulaient comme un prolongement de l’action qu’appelait la première des récentes révolutions arabes à laquelle ils avaient activement participé.
Le théâtre-action ne pouvait rester à l’écart de cette résurgence de ses propres enjeux au niveau international, présents depuis les premières années des plus anciennes compagnies. Plus récemment, le Théâtre Croquemitaine avait soutenu la création du spectacle ‘Dégage’ porté par Walid Ayadi et son groupe de théâtre action Tunisie, spectacle présenté au FITA 2012 en Hainaut. Ce groupe, très présent au sein de la Commission Culture du FSM, ayant pu apprécier les objectifs -et les publics- du théâtre-action lors de ce FITA 2012, souhaitaient ardemment leur participation au FSE.
Les compagnies menant une réflexion pour « un théâtre-action pour le XX1ème siècle », qui tente de revaloriser « le politique » dans la démarche, ont proposé de participer au FSE par une réflexion sur l’exigence d’un autre discours sur le monde comme préalable à tout changement profond.
La proposition rencontrait idéalement celles des autres participants sur « la nécessité de donner une large place aux nouvelles expressions culturelles ayant joué un rôle important lors des mouvements populaires, et à la culture de toutes les régions du monde ». Les organisateurs de la CC ajoutaient que « compte tenu du contexte d’ébullition démocratique que connait la région Maghreb-Machreq (…le FSM 2013) devait constituer une étape importante pour renforcer la solidarité entre les peuples, agir ensemble pour que leurs luttes inscrivent dans le vécu des gens les valeurs de dignité et de justice sociale partout sur la planète terre, et pour que le FSM continue à être un espace global de résistance et d’alternative. »

La Déclaration de Tunis

Les représentants du théâtre-action (Belgique) ont clôturé le colloque de la première Commission culture du FSE par ce qui est devenu la Déclaration de Tunis : « Partout, des créations artistiques, des actes de nature culturelle, interrogent la cité et le monde et tentent d’éclairer nos chemins ». (…) « Les révolutions peuvent faire basculer un temps les systèmes dominants. Mais pour bouleverser en profondeur leur hégémonie quasi dogmatique et donner aux alternatives leur légitimité populaire, il faut, en même temps que les concevoir, inventer le langage nouveau qui permet de les penser dans tout ce qu’elles bousculent. » (…)« Pour s’affronter à la pensée dominante, la culture et les actes artistiques qui en sont les expressions vivantes, doivent pouvoir construire un récit différent sur le monde, une autre représentation de ses enjeux, un nouvel imaginaire. Nous avons impérativement besoin de cette pensée alternative pour fonder culturellement les utopies sociales et les mettre en œuvre » (…) « Nous ne pouvons plus nous satisfaire de réagir aux discours convenus des évidences apparentes, assénées comme la justification culturelle de vérités inexorables construites pour le seul privilège d’égoïsmes économiques et financiers qui écrivent dans les corps et dans les têtes une histoire de mort. »(…) « La culture aussi doit pouvoir se construire de manière alternative, s’inventer une "alterculture". Certains ici, refondant le sens de l’expression, l’appellent révolution culturelle. » (…) « Comme le font les révolutions, nos actes culturels et artistiques doivent pouvoir écrire autrement l’histoire des êtres humains. La jouer, la mettre en scène, la danser, la chanter, en inventer les mots et les images, et donner de la voix à nos indispensables utopies. C’est à cette condition qu’elles trouveront leur chemin dans la vie des gens et deviendront, parce qu’ils auront pu les penser et les dire, les évidences de demain, pour à nouveau sans cesse les interroger ».

Le théâtre-action proposait alors une première action concrète : « Il nous faut poursuivre nos résistances par les outils culturels, localement ou ailleurs en solidarité avec d’autres.(…) Nous voulons apporter notre part à la création d’un réseau international dont nous percevons l’ardente exigence (afin que) ceux qui partout dans le monde - chacun à sa manière et avec le nom dont il désigne sa démarche- puissent, dans une plate-forme commune, se connaître et se reconnaître les uns les autres » (…) C’est sur ce terreau que va naître à Tunis même le principe d’un Secrétariat international des théâtres-actions réseau d’information et d’échanges, « pouvant contribuer à créer ce langage, s’inventant de nos expériences et de nos démarches ». (cf. article sur le SITA).

Les utopies sont les évidences de demain

La Déclaration de Tunis se terminait par une envolée qu’autorisait l’enthousiasme communicatif de la grande manifestation de la veille dans les rues de Tunis : « La culture n’est jamais un acquis, un bien à posséder ou à jeter au visage des autres. C’est un chemin, c’est l’action même de questionner les traversées humaines, les accidents de l’histoire, les pouvoirs et leurs logiques destructrices, c’est un récit à réinventer sans cesse. Déclarons aujourd’hui, ce 27 mars 2013, le premier jour du Forum Culturel Mondial. »

Pour la délégation du « Théâtre-action pour le 21ème S »
Paul Biot