par Eric Rouxhet

Nos bonnes intentions ainsi affutées, nous prenons la route du bistrot du village qui organise le verre du Nouvel An. Hiver oblige, nous chaussons nos nez rouges (on fait un pied-de-nez, alors on chausse un nez) … en guise de cache-nez. Le plus tonitruant d’entre nous entre en premier. S’en suit une harangue que nous espérons être des vœux mais qui nous fait hésiter à entrer. Une accalmie à l’intérieur conjuguée à un regain de pluie nous convainc de pousser la porte. Mon regard se voile immédiatement, non dû à l’émotion de transmettre le meilleur à des inconnus … mais parce que mes lunettes sont embuées. Le bistrot, bourré, a la moiteur des vestiaires collectifs des piscines de mon enfance. Dans cette promiscuité tropicale, difficile de fourrer son nez partout aussi nous reprenons rapidement le chemin de la salle de répétition.

A présent, place au travail d’improvisation collective. J’ai déjà essayé des duos assez convaincants. Le trio se pratique à l’identique mais agrémenté du zeste perfide de la personne en trop. Trois, pour nous Occidentaux, c’est deux plus un. Donc, un de trop ou de pas assez, qui devient le substitut, le rival, le voyeur, le témoin, le juge … Ensuite, à six sur le plateau, on ne se pose plus toutes ces questions et comme aucun d’entre nous n’a la fibre dictatoriale, c’est le bordel ! Et c’est le couvre-chef (!) qui va y mettre de l’ordre quand chacun s’empare d’un chapeau et commence le ballet des échanges : le tête-à-tête collectif devenu principe d’harmonie.

Enfin arrive l’épreuve redoutée du seul en scène ou tenter de surgir de soi au sortir des coulisses. Au fond, le clown n’a besoin que de trois choses : un nez, un espace de jeu et un public. Tout le reste n’est qu’accessoire. Et puis il va arpenter son jardin secret, la truffe chercheuse d’émotions et y inviter le monde entier.

Et se dessine bientôt des types de clowns. Non pas des typologies d’entomologistes ou des personnages figés de la Commedia Del Arte mais tout simplement quelqu’un. Le clown ne joue pas un rôle, il est le rôle.
J’observe mes camarades et trouve que le travail du clown a quelques résonnances avec celui du sculpteur. Chez certain(e)s, il faut rajouter de la matière dans les creux et chez d’autres tailler dans la masse du superflu. Ou laisser le tout à l’état de ready-made.

Et moi, quel clown suis-je ? Que rajouter ? Quoi enlever ? Comment se fait-il que je cerne chez les autres ce qui m’aveugle ?
Le salut viendra des camarades. Je suis traité de gamin dans un corps de vieux, de collecteur d’absurde, d’arpenteur de lunes… Je n’ai pas retenu l’exactitude des formules, trop émotionné par le costume en train de se coudre à l’intérieur de moi.

Eric