Sur ses mots s’ouvre la présentation de la rencontre qui rassemble quelques 80 personnes, aux étiquettes multiples : soignants, soignés, artistes, animateurs, spectateurs...

Les bases sur lesquelles sont posés les débats sont intéressantes, car sans refus de la critique. Dans un monde totalitaire en plein repli sécuritaire, la création du lien et la solidarité sont rendus difficiles par des conditions d’existence précaires. Les normes nous enferment dans des identités castratrices qui empêchent les rencontres et déchirent le tissu social. La misère sociale entraîne la misère affective, la solitude, l’exclusion. Dotée du pouvoir moral et légal que la société lui a remis, l’institution psychiatrique se pose comme rempart entre les fous et les bien-portants. C’est à cette énorme machine que revient le pouvoir de catégoriser, de diagnostiquer des individus en les réduisant souvent à des symptômes, distance thérapeutique oblige...

Fonctionnant comme une énorme machine, employant un nombre impressionnant de personnes, soumise à des contraintes économiques dignes du management d’entreprise, la psychiatrie regroupe un ensemble de contradictions internes (administratives entres autres) qui rendent difficiles de ne pas perdre de vue l’objectif “thérapeutique” des soins, au profit de la simple et triste gestion de population...
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Tout au long de la journée se pose la question de la ré-intégration sociale. Le travail est pour beaucoup de personnes une nouvelle forme d’esclavage aux effets dévastateurs tant physiquement que mentalement. Le taux de dépressions, voire de suicides prouve assez qu’une critique du monde moderne ne peut faire l’impasse sur cette question. Préparer des personnes en souffrance à être compétitifs, flexibles et endurants, représente une des contradictions les plus visibles du processus d’insertion auquel les personnes sont forcées de se soumettre. Surtout quand elles sont ultra-médicamentées, ou inaptes physiquement...
Le personnel soignant, lui aussi surmené, se voit souvent dans l’impuissance d’apporter une aide individuelle, par manque de temps et d’énergie.

La déconstruction des catégories s’est affirmée comme un enjeu fondamental dans les différentes discussions. Repenser l’anormalité au vu de la construction sociale et culturelle, et non pas en termes absolus moraux ou scientifiques. Oser se confronter à ses propres fragilités, décaler son regard sur ce qui est admis, et se demander pourquoi ce qui sort des lignes nous dérange t - il à ce point. Pourquoi la douleur nous fait-elle peur ? Pourquoi l’avoir nommé “maladie” ?

Cette société bien propre, éclatante d’une santé dopée aux OGM et aux anti-dépresseurs, ne supporte pas ses fantômes. Ils sont le reflet des maladies qu’elle secrète dans son propre corps décadent. Menaces pour l’ordre, imprévisibles, ils représentent tout ce que le pouvoir craint et veut faire disparaître. Des éléments instables, indomptables, rebelles à la bonne marche d’un système qui se félicite d’avoir organisé l’entièreté de nos existences...


Faisons du théâtre avec les fous ! Des fous qui ne sont pas plus fous que des milliers de personnes qui vivent leur vie sans être inquiété par le moindre psychiatre. Et en tout cas, bien moins dangereux que certains médecins mégalomanes, ivres de pouvoir et étouffé par leur égo, que certains professeurs qui traumatisent de jeunes individus en détruisant leur estime d’eux-même à vie, que la grande majorité des politiciens dont le mensonge et la tromperie dans leur propre intérêt est une façon de fonctionner tout à fait naturelle. Quand bien même leurs choix ont des conséquences mortelles pour des milliers d’autres êtres humains...

Alors faisons du théâtre avec les désespérés, ce que les sains d’esprit peuvent regarder avec commisération, à qui l’on apportera une main charitable avant de les renvoyer à l’abîme où nous les avons confiné.

Faisons du théâtres avec des personnes, afin de détruire les prisons mentales dans lesquelles nos préjugés nous ont enfermé. Comme une grande claque en pleine figure, que volent en éclats ces belles postures esthetico-artistiques qui nous préservent de faire de vrais choix. Derrière lesquels nous nous cachons, de peur de nous mettre nous-même en jeu... Dans l’espace dramatique, le plus fou est le plus heureux. La folie est la grâce donnée aux audacieux de pouvoir renouer un instant avec le sublime. De pousser des hurlements bestiaux, de libérer nos corps, d’éteindre nos esprits pour s’offrir l’espace des gestes libérateurs. D’explorer la gamme de notre humanité à l’abri des regards jugeants de nos semblables.
Faisons du théâtre. Qui que nous soyons.