Pour le trajet de retour de Tula à Kharkov nous prenons un train de nuit. Alexander, l’un des jeunes artistes qui nous hébergeait, tellement heureux d’avoir reçu un Walkman, nous fourre des bouteilles de bière plein les bras.
Lorsque nous montons dans le wagon, l’accompagnateur en uniforme les aperçoit. Il nous propose immédiatement d’en échanger quelques-unes contre des bouteilles de champagne russe. Actuellement il y a pénurie de bière et l’affaire lui paraît tout à fait avantageuse.
Nous acceptons et devenons immédiatement ses hôtes de choix.
Leonid nous explique que cet homme est Géorgien que ceux-ci sont des méridionaux, très expansifs. Celui-ci, un grand costaud bien bronzé, porte une moustache à la Staline.

À bord de chaque voiture, un homme et une femme s’occupent de l’entretien du wagon. Ils s’occupent du chauffage, préparent du thé, s’occupent du placement et du service des voyageurs. C’est une véritable institution.
Nous sommes dans un compartiment à six couchettes. Ni cloisons, ni portes ne séparent les différents compartiments du wagon. Pendant notre installation, nous faisons un peu de bruit. Un dormeur proteste. Aussitôt notre nouvel ami géorgien fait entendre le ton autoritaire de sa voix pour faire taire la rouspétance.
Peu après notre installation, notre steward vient nous rejoindre pour boire du champagne et de la bière avec nous. Il est interdit de fumer dans les trains russes. Nous voulons nous rendre dans l’espace réservé aux fumeurs. Les Russes appellent cet endroit le « tambour ». C’est la plateforme permettant de passer entre deux voitures. De ce fait, c’est l’endroit du train où l’on est le plus bousculé. Les toilettes s’y trouvent aussi. Les parois sont brunies par la fumée des cigarettes. L’atmosphère enfumée pourrait même dispenser d’allumer une cigarette. L’odeur est un mélange puissant du redoutable tabac russe et des effluves des toilettes. Mais c’est aussi un important lieu de sociabilité, occasion de rencontres, de discussions et de plaisanteries.

Notre steward géorgien veut nous épargner cet inconfort. Il nous intime de rester assis et d’allumer notre cigarette dans le compartiment.
Après un instant, l’odeur de la fumée provoque des plaintes dans le wagon. Notre steward fait à nouveau entendre sa voix, il semble catégorique. Les mécontentements cessent de se faire entendre.
Il sort alors de sa poche, ce qui semble être une Belomorkanal, la cigarette russe la plus horrible qui ressemble à un joint. Il l’allume et après avoir tiré une bouffée, la passe à Pierre. Nous pensons qu’il souhaite nous faire découvrir cette marque. Mais la Belomorkanal se révèle être un joint de marijuana géorgienne. Excellente herbe qui nous laisse rêveurs.
Le matin à l’arrivée à Kharkov nous sommes réveillés par des verres de thé brûlant et le sourire radieux de notre steward.

Nous sommes là pour le second cycle de représentation à Kharkov. La cérémonie d’accueil qui n’avait pas pu avoir lieu lors de notre premier séjour se déroule le premier soir. Toasts, vodka et zakouski deviennent routiniers.

L’épuisement nerveux, guette notre groupe. Depuis notre départ, en dehors de nuits passées à conduire, chaque soir, nos différents hôtes nous invitent à une réception, une fête, un repas. La lassitude gagne la troupe. Chacun aspire à une soirée tranquille, solitaire, dans sa chambre.
Ceux qui nous reçoivent ne le font qu’un soir. Mais nous, c’est au quotidien que nous devons assurer cette troisième mi-temps » théâtrale. La fatigue des longs déplacements, le manque de sommeil, les foies engorgés, ont raison du moral de la troupe. Nous commençons à comprendre le comportement parfois renfrogné de certaines vedettes.
Depuis notre retour à Kharkov, nos amis aussi tiennent à nous inviter le midi chez eux, comme pour profiter le plus possible des contacts avec les « étrangers ».

Rita, Marc et moi résistons encore. Nous avons accepté l’invitation de M. Georges, un chanteur qui a déjà enregistré plusieurs 33t, ce qui n’est pas rien en URSS. C’est le Vissotsky ukrainien, crinière blanche et moustache, qui nous ouvre son appartement.
Chaque fois les gens sortent tout ce qu’ils ont de leurs placards, courent les magasins pour garnir leurs tables de victuailles et de boissons. Quitte à se priver ensuite de longues semaines.

Également comédien, il nous adresse ses félicitations pour « The Gang ». Nous avons droit ensuite à un véritable récital privé.
Un midi nous nous retrouvons chez Jeanne, notre interprète. Les petits plats sont dans les grands.

Les échanges s’animent grâce aux traductions de Jeanne.
Les tendances nationalistes ukrainiennes renaissent. Mais bien plus à l’Ouest. Kharkov est russophone et tient à le rester. Nous parlons des difficultés de la vie quotidienne et de leurs mille combines pour les surmonter.

C’est en vain que nous leur expliquons que si dans bien des domaines, leur situation est peu enviable, chez nous tout n’est pas aussi simple qu’ils l’imaginent. Les illusions foisonnent, sur la liberté à l’Ouest, sur la facilité de s’enrichir grâce au capitalisme, sur l’accès à la consommation.

L’identité du citoyen soviétique est désintégrée. L’histoire stalinienne officielle et ses mensonges ont ôté toute crédibilité au « récit » officiel. Il est rejeté dans sa totalité et même tout simplement inversé.
L’époque barbare des Romanov et du tsarisme est revisitée comme une « Belle Époque » russe. Les gens mangeaient à leur faim, circulaient dans des calèches, vêtus de bons habits et les dames portaient de jolis chapeaux.
Le « communisme » expliquent-ils, a même fait oublier des usages de la politesse. « Camarade » est devenu le mot générique pour s’adresser à tous, des mots comme « mademoiselle » ou « madame » sont tombés en désuétude.

Pourtant Rita, Dolorèze et Christine sont l’objet d’une galanterie inconnue, ou oubliée à l’Ouest.
La femme est très respectée. Les hommes leur ouvrent les portes, les font passer devant, portent leurs sacs, leur cèdent leur place, leur offrent des fleurs et surtout pratiquent le baisemain. Ce n’est pas sans leur déplaire.

Après le repas, Vladimir sort sa guitare et nous chante « Les yeux noirs », « Petrouchka » et des chansons cosaques, tziganes ou ukrainiennes, reprises en chœur par tous les convives ukrainiens. Et comme bouquet final, pour nous faire plaisir et montrer leur intérêt pour la culture française, il entonne « l’Été indien » de Jo Dassin.

Pendant les moments de loisir, nous nous baladons dans le centre de Kharkov. Les Occidentaux que nous sommes font du lèche-vitrines soviétique. C’est vrai qu’il n’y a pas lourd à lécher. Un moment, Dolorèse admire une paire de bottes rouges et en demande le prix. Vladimir lui offre lors du repas suivant.
Lors d’une autre promenade, je demande à un jeune étudiant qui nous accompagne où je pourrais acheter des aquarelles. Il m’explique que ce n’est pas possible. Pour acheter du matériel classé comme artistique, il faut détenir une carte officielle d’artiste professionnel. Les magasins pour le grand public ne proposent que des petites boîtes de gouache de mauvaise qualité.
Le lendemain matin il vient m’offrir deux boîtes de tubes d’aquarelles pour professionnels. L’une est déjà entamée, c’est la sienne, l’autre constitue sa réserve. Il m’est impossible de refuser, ni de lui proposer d’en conserver au moins une.
Il suffit que nous marquions de la curiosité pour un objet pour qu’il nous soit offert. Nous sommes de plus en plus gênés par ces marques d’hospitalité que nous trouvons de plus en plus excessives.
Pour éviter de répéter ces situations embarrassantes, nous décidons de rester désormais distants de tout ce qui nous intéresse dans les magasins.
Et pour essayer de rester à la hauteur de ce potlatch, je vais convertir une partie des dollars restants en cartouches de cigarettes américaines. Un paquet de cigarettes représente une véritable marchandise de luxe. Il peut facilement être revendu au marché noir pour un bon prix. Je les offre à tous ceux qui nous ont gratifiés de cadeaux.

Nous consacrons l’une des matinées à régler la question des lecteurs vidéo que nous nous sommes engagés à repasser à la douane lors de notre retour. Leonid va acquitter les droits de douane à l’importation de ce matériel et avec la quittance, nous ne devrions pas avoir de problème. Il m’entraîne avec Vladimir dans les bureaux de l’administration des douanes. Dans celui où nous sommes reçus, des centaines de dossiers s’entassent sur les rayons des étagères qui couvrent les murs. D’autres s’empilent par terre et sur les bureaux. Ça sent le désinfectant et la poussière, l’odeur de la bureaucratie. En me désignant des yeux les tas de classeurs gris, du coin des lèvres, avec ironie, Vladimir me souffle « soviet computer ».
Après un bon moment d’attente et un examen minutieux de la demande de Leonid, le fonctionnaire signe, tamponne, timbre, et retamponne un formulaire. Nous devrions être en règle pour repasser la frontière.

Nous mettons à profit ces derniers jours à Kharkov pour essayer de convertir les cachets gagnés lors de nos représentations.
Nous sommes payés comme des stars. En regroupant nos rémunérations, Rita et moi pourrions acheter une voiture. Mais il faudrait attendre longtemps pour la livraison.
Si nous convertissions nos roubles en dollars, au cours officiel, nous pourrions tout au plus acheter un peu de vodka et des cigarettes américaines pour la route.
Au marché noir la conversion dans ce sens est ruineuse. L’option la plus profitable est de convertir ces liasses de roubles en achats dans les magasins. Par rapport aux prix occidentaux, cela met certains articles au bord de la gratuité. Je m’achète une collection de livres d’art des Éditions Aurora (Aurora est le nom du croiseur qui a donné le signal de la prise du palais d’hiver en octobre 1917). Nous remarquons aussi que les instruments de musique sont à notre portée. Notre groupe entre dans un magasin d’État et nous y achetons une bonne partie du stock. Un soubassophone, deux saxophones, deux trompettes, un tuba, des tambours de marche, deux balalaïkas, des treschetkas, un violon, un piano électrique, font partie du butin.

Le samedi, l’avant-veille de notre départ, une fête est encore organisée. Les tables sont disposées en « U ». Le plan de table nous répartit entre la vingtaine de personnes qui organisent cette tournée, nous accompagnent, nous accueillent, nous traduisent. Nous ne sommes que sept adultes, notre fils de cinq ans et un bébé de quelques mois.
Les tables sont impeccablement dressées, fleuries, garnies de zakouski. Des bouteilles de vodka, toutes de qualité, Moskovskaya, Stolichnaya, Russkaya, Nemiroff, sont densément et équitablement réparties. Quelques bouteilles d’eau, “pour les dames”, sont disposées en intervalle.
La fête commence par quelques toasts. M. Eugène, le directeur de la coopérative, prononce à nouveau un petit discours sur l’amitié indéfectible qui à présent nous unit, etc.
Ensuite différents ensembles de musiques défilent sur la scène. Ils nous gâtent, c’est une vraie débauche de talents. Du folklore, de la chanson, un ensemble de bandura, de balalaïka, de la danse, littéralement acrobatiques. Nous sommes étonnés par les Treschetka, ces hochets pour les grands, consistant en plaques de bois se percutant entre elles selon le rythme qu’on leur donne. C’est visuellement beau à regarder et cela donne la cadence au groupe de danse et aux morceaux folkloriques. Jusqu’aux petites heures du matin, des dizaines d’artistes nous en mettent plein les yeux et les oreilles.

Le lendemain c’est dimanche. C’est relâche, nous n’avons pas de représentation. Après la soirée de la veille, nous nous réjouissons de pouvoir faire une grâce matinée.
Mais le matin à huit heures, Leonid et Vladimir, plein d’entrain viennent nous réveiller.
Nous ne les attendions pas. Nous sommes surpris et ne comprenons pas grand-chose à ce qu’ils nous racontent. Nous ne sommes pas bien réveillés, les vapeurs de vodka peinent à se dissiper. Nous comprenons vaguement qu’ils veulent nous emmener au sauna. Nous tentons d’y échapper, nous préférerions dormir, dormir, dormir.
Mais rien n’y fait, nous comprenons que pour eux c’est important.
Il n’y a que Rita, Marc et moi qui trouvions encore l’énergie, si on peut appeler cela comme ça, pour les suivre. Ils nous traînent alors dans un grand gymnase dans lequel ils ont loué un sauna.
Celui-ci nous est entièrement réservé. Une pièce sert de vestiaire, une autre est meublée de fauteuils, d’une table basse et d’une TV, qui est d’ailleurs allumée. Il y a aussi un petit coin cuisine avec un frigo, de quoi se faire du thé et réchauffer un plat. Le sauna est très grand, on doit pouvoir y faire suer deux ou trois équipes de foot. Et la petite piscine est bien froide. Sous les protestations vigoureuses des Ukrainiens, notre fils Max veut ouvrir la porte du sauna, il trouve qu’on est fou de rester dans cette chaleur.
Après quelques allers-retours du sauna à la piscine, Leonid nous invite à une collation. Des toasts couverts d’une épaisse couche de caviar et de la vodka. Il nous informe qu’il a invité quelques amis responsables de coopératives qui voudraient nous présenter leurs productions. Ils nous demandent notre aide pour essayer de les distribuer à l’Ouest. La perestroïka a permis la création de ces nouvelles coopératives indépendantes.
L’un nous présente de longs manteaux de fourrure coupés dans un style très sibérien. Ce serait difficile de les porter à Bruxelles ou à Paris. Un autre nous montre des travaux de marqueterie d’une finesse incroyable. Certains reproduisent des sujets comme des portraits dans un style hyperréaliste. Vladimir nous parle de son projet de galerie de peintures et nous montre des albums avec des photos d’œuvres qui y seront exposées et vendues.
Gricha, qui a passé quelques moments avec nous dans les soirées d’après spectacle, nous propose sa production de cadres en résine plastique qui encadre des reproductions de peintures. C’est kitch, pas très bien réalisé, mais sa production trouve de gros débouchés chez les kolkhoziens. Marc, qui en plus d’être comédien, tient un petit tabac librairie dans un quartier populaire à forte population immigrée, pense que pour lui ce n’est pas totalement invendable.
Toutes ces propositions sont assez déroutantes. Mais je m’engage à réaliser à notre retour, un sondage auprès de commerçants et d’entrepreneurs.

Nous quittons Kharkov pour notre dernière salve de représentations à Dniepopetrovsk, sur le Dniepr (aujourd’hui rebaptisée Dnipro). Vladimir, qui prétend avoir des origines cosaques, nous assure que la région était un « Hetmanat », une région sous le contrôle des Cosaques. C’est surtout une grande ville industrielle où notre arrivée ne passe pas inaperçue. Nous sommes déjà loin à l’Est de la frontière et les voyageurs étrangers sont rares. Les passants se figent et, surpris, suivent notre convoi des yeux. Aux feux rouges, de petits attroupements se forment.

Nous garons nos véhicules sur le parking face au théâtre et nous allons reconnaître le plateau où nous jouerons demain. Le directeur du théâtre est assez étrange et semble dépassé par l’accueil d’une troupe étrangère.
Lorsque nous sortons pour regagner les voitures, elles sont littéralement entourées par une petite foule. Les curieux sont montés sur les pare-chocs, sont vautrés sur les capots, pour mieux observer les habitacles. On dirait un essaim d‘énormes mouches. Le directeur qui nous accompagne est sidéré et complètement passif. Avec l’aide de Leonid et Vladimir, nous parvenons à nous approcher et à regagner nos engins. Pour constater qu’on nous a volé nos essuie-glaces.
Impossible de trouver ce matériel ici. Nos malheureux essuie-glaces vont se retrouver sur un de ces « free-market » qui commencent à faire leur apparition. Entre le marché noir et la zone franche pour pauvres, on y trouve un peu de tout. Mais ce serait chercher une aiguille dans une botte de foin qu’espérer les y retrouver.
Et en cette fin d’automne, nous n’avons pas loin de 3 000 km à parcourir pour rentrer en Belgique.

Nous trouvons un parking gardé, nous n’avons pas envie de voir les véhicules continuer de se faire désosser.
Nous sommes hébergés dans un petit hôtel Intourist. Ira, la femme de Leonid, nous y a devancés. Elle est blottie près d’un samovar d’eau bouillante. Du thé est tenu au chaud sur son couvercle. Elle nous sert dans de petites tasses, un doigt de ce thé noir, très concentré, puis elle l’allonge avec l’eau du samovar.
Elle lit un magazine de mode occidental, illustré de mannequins sveltes et maquillées aux petits soins. Les femmes de notre groupe sont bien différentes de ces femmes de papier glacé. Ira demande aux filles comment sont réellement les femmes occidentales. Elle imagine l’Ouest peuplé de ces créatures de magazines et a du mal à croire nos dénégations.

Depuis quelques jours déjà les températures chutent et le ciel se couvre.
Le chauffage a été mis en route dans tous les bâtiments d’État.
De la table où nous prenons les repas, le froid s’infiltre par les châssis des fenêtres qui ne sont pas très étanches. C’est le cas dans pas mal de locaux que nous traversons. Pour l’instant ils sont surchauffés, mais avec une isolation pareille, L’hiver ça doit cailler.

Le soir, Leonid nous conduit dans un restaurant.
Comme c’est assez souvent le cas, la vodka est introuvable dans l’établissement. Mais on peut l’amener soi-même. À cette heure le « Beryezka » est fermé. Pendant que le reste du groupe s’installe, je vais patrouiller en camionnette avec Leonid pour trouver un vendeur de vodka à la sauvette. Après quelques tentatives infructueuses nous trouvons notre homme et nous réalisons un troc vodka contre cigarettes américaines.

Le soir, la plupart des restaurants sont animés par un orchestre. Les digues du réalisme socialiste ont cédé aux accords de rock et de la variété occidentale. Patricia Kaas enflamme les guitares électriques. Des couples se balancent au milieu des tables, sur la piste de danse, avec une belle ardeur.
Le détour par les toilettes s’avère périlleux. Il faut prendre garde de ne pas glisser sur le carrelage mouillé d’eau et d’urine. Côté hommes, côté femmes, le désastre est identique.

Le lendemain, lorsque nous nous rendons au théâtre pour jouer notre spectacle, nous sommes à nouveau encerclés par la foule. Bien que nous soyons tous à l’intérieur des véhicules, les gens se pressent contre eux. Les plus proches écrasent leurs figures sur les pare-brise pour mieux voir l’intérieur. Les traits des visages sont plus asiatiques que dans le Nord.
Nous sommes observés comme des poissons rouges dans leur bocal.
Pour décharger le décor, il faut chaque fois refermer les portes à clés et laisser quelqu’un en sentinelle. Lorsqu’une portière est ouverte, ils tentent de glisser la tête le plus loin possible, voir, d’entrer carrément pour mieux tout regarder.
Les gens ne sont pas méchants, ils sont simplement d’une curiosité irrépressible. Et aussi un peu chapardeur. À plusieurs reprises nous avons demandé au directeur du théâtre de faire quelque chose. Mais il reste plongé dans une indifférence morne et dépressive.
C’est imprudent de laisser les véhicules sans surveillance pendant que nous sommes occupés sur la scène. Nous avons déjà connu cette situation en Pologne, à Poznan, lorsque des voleurs ont tenté de forcer notre portière latérale.
Nous exigeons que le directeur reste dans la camionnette pendant la représentation.
Lorsque nous avons terminé, sombre et transi, il est toujours installé derrière le volant de la camionnette, jouant à son tour le rôle du poisson rouge. C’est le même scénario pour recharger nos accessoires, il faut surveiller en permanence la manœuvre. Et nos véhicules doivent absolument passer la nuit dans un parking gardé.