par Eric Rouxhet
En fait, nous sommes trois et demie, rejoints in extremis par une jeune fille d’une douzaine d’années. Voilà qui vient heureusement faire baisser la moyenne d’âge qui commençait à s’approcher doucement du plafond de l’existence. Mais comme le clown est un état davantage qu’un état civil, les ans ont peu de prises sur lui. Je finirai peut-être (le plus tard possible) par animer de futurs compagnons de home !
Entièrement vêtue de vert amande, la fillette s’ébat avec la grâce et l’agilité d’une luciole. De quoi me donner le tournis et faire la nique à l’ensemble de mes articulations. Après un tour méthodique du propriétaire, seules mes paupières bougent sans effort ni douleur. Et dire que je déteste les saltimbanques du trottoir qui font la statue pour les touristes !
Par bonheur, j’ai l’inconscience de me perdre en mouvements à la moindre sollicitation, quitte à passer la semaine suivante à décoincer chaque vertèbre, à déplier chaque articulation.
Et puis le clown n’est pas toujours un acrobate dont les contorsions font rire à ses dépends. Rita passe un morceau de Vivaldi et nous voilà à deux, improvisant le ballet tranquille de la pure recherche de l’air : d’où vient-il ? que diffuse-t-il ?
La journée se passe à fignoler des scènes ébauchées précédemment. Ici, l’expression « le détail qui tue » prend tout son sens. Une scène va se révéler à travers une mosaïque de gestes et de sons très précis qui suscitent chacun une émotion et dont l’ensemble mettra à jour une tranche de la vie du clown. Armé d’une tapette, je me mets au travail pour que ma scène fasse mouche.
« Amplifiez les gestes, augmentez le son, exagérez tout » martèle Rita. Moi qui ai toujours cultivé la vertu du verbe rare qu’on dégaine comme une arme secrète, je suis déconcerté. Il faut tout étaler, et plutôt deux fois qu’une ! Mais c’est finalement crier pour dire plus loin que les mots, exhiber pour découvrir que sous l’envers des choses se cache l’endroit des êtres.
Peut-on redevenir « normal » quand on a été clown ?